Passager

Photographies d'Arnaud Brihay 

Exposition du 8 septembre au 17 novembre 2018 

Passager
Adjectif : qui ne fait que passer. Qui ne dure que peu de temps 
Nom : Personne qui utilise une moyen de transport pour se déplacer sans participer à son bon fonctionnement.


Qu’est-ce qu’exister, au juste? Surtout, comment répondre à cette question sans les recours convenus aux grandes orgues intimidantes et tympanisantes de la métaphysique, ni aux échappées dans une poésie de mauvais aloi, qui ne constituent que des manœuvres dilatoires ? Il y a une manière simple de tenter l’exercice, pourtant ; revenir à la source étymologique du mot :ex-sistere. Sistere, dérivant de la racine indoeuropéenne sta, qui veut dire se tenir debout, immobile (d’où vient le latin stare), signifie placer et/ou se placer.
Exister c’est donc placer et/ou se placer « ex » — hors de : à la fois se placer et se déplacer, bref agir pour trouver ses (bonnes) places. Ce qui exige de savoir et pouvoir maîtriser les distances qui s’établissent entre les réalités humaines et non-humaines que nous croisons au quotidien. Cet incessant jeu combiné des distances, des places, des placements et des mouvements est au cœur de l’activité des individus en société. L’existence serait ainsi une action spatiale permanente.

Cette action, Arnaud Brihay l’image par le présent travail photographique en se focalisant sur son existence personnelle. Mais attention, point de confusion s’il vous plait ; il ne se veut pas documentariste/taliste de ses parcours, mais égo-archéologue de ses propres traces de vie. Arnaud Brihay emprunte sans cesse des avions pour son activité professionnelle qui le mène en de nombreux pays. De retour à Lyon, il continue de bouger, mais à une autre échelle, allant de lieux en lieux, souvent des ancrages de sa vie et de sa sociabilité. De temps à autre, il rejoint sa Belgique natale.
Il compose ainsi une géographie vécue qui articule et met en tension des lieux, des lignes de déplacement, des connexions. Son existence est ainsi passagère et traversière, au sens où il passe d’endroits qu’il traverse à d’autres endroits qu’il traverse tout autant, sans se fixer jamais très longtemps : est-ce cette instabilité de son espace vécu de néo-nomade contemporain qui l’a poussé à photographier depuis quelque années, des moments fugitifs, des ombres, des atmosphères. Tout cela, comme pris à la volée, nous donne à voir comme de fragiles dépôts d’une vie errante et quelque peu mélancolique, marquée par une sorte de Saudade de l’individu mobile contemporain — une nostalgie de ce qu’on laisse derrière soi à chaque départ : des êtres aimés ou amis, dans l’attente d’une nouvelle rencontre, des lieux, des paysages auxquels Arnaud Brihay est si attaché qu’il y a consacré plusieurs séries avant que sa photographie ne s’allège de tout le poids de la fixation des formes construites pour ne se concentrer que sur l’impression du passage.

Au début d’Espèces d’espaces, un de ses livres les plus fameux, George Perec présentait ainsi son sujet et son projet d’écriture : « L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ?
Ce sont ces « où » qu’Arnaud Brihay saisit, c’est cet espace-temps non euclidien d’une vie (la sienne, mais comment ne pas voir que ce qui est montré pourrait tout aussi bien provenir de la nôtre ?) qu’il balise de ces petites lumières d’images tremblées arrachées au noir de l’oubli. Ces fragments ténus ici assemblés nous émeuvent car, en vérité, au-delà du cas Arnaud Brihay, ils nous parlent de nous, de notre existence solitaire et des sensations qu’elle accroche au passage."
Michel Lussault